Tuer les cellules souches cancéreuses par traitement métabolique (TM 1)
Cibler le métabolisme des cellules cancéreuses pour tuer aussi les cellules souches
Tiré de l’article publié par International Journal of Cell Biology, jan 2013
Targeting Metabolism to induce Cell Death in Cancer Cells and Cancer Stem Cells
Claire Pecqueur, Lisa Olivier, Kristell Oizel, Lisenn Lalier, François Valette
Unité de recherche de l’Inserm, université de Nantes. Equipe labellisée Ligue Contre le Cancer. Nantes
J’ai trouvé que cet article reposant sur des recherches et des données fiables permettait une certaine vulgarisation sur un sujet compliqué. J’ai traduit et cité largement l’article en laissant toutefois de côté les aspects trop complexes et détaillés qui aurait pu embrouiller le lecteur. Je pense en avoir conservé l’esprit sans parti pris.
En résumé : Les cancers peuvent utiliser plusieurs voies d’approvisionnement pour se développer, deux voies sont prépondérantes : la voie glucose et la voie glutamine.
On sait depuis longtemps que les traitements classiques à base de chimiothérapie et radiothérapie ont des limites dues à la présence de cellules souches cancéreuses résistantes à ces traitements.
Pour une thérapie efficace il faut utiliser des moyens combinés, dont des traitement utilisant le métabolisme des cellules cancéreuses, pour bloquer les voies d’approvisionnement et ainsi tuer toutes les cellules sans abîmer les cellules saines.
Introduction
La prolifération des cellules implique la réplication de tout le contenu cellulaire en contrepartie de l’énergie nécessaire à ce processus.
Pour les cellules normales, le glucose participe à la production d’énergie via la glycolyse (transformation du glucose en pyruvate en 10 étapes dont 3 irréversibles) suivi de son catabolisme complet (dégradation complète pour fournir de l’énergie) via le cycle acide tricarboxylique (cycle de Krebs à l’intérieur de la mitochondrie) et la phosphorylation oxydative (utilisation des enzymes pour catalyser l’oxydation les substances nutritives, libérant ainsi l’énergie nécessaire pour reformer l’adénosine triphosphate (ATP)).
En plus du glucose, la glutamine est nécessaire pour la réalisation du cycle de Krebs. Les lipides, les amino-acides et les nucléotides nécessaires à la biosynthèse des cellules filles sont apportés par les métabolites intermédiaires de ces voies. Pour éviter une prolifération excessive des cellules ces voies sont régulées de façon très précises.
Cependant les cellules cancéreuses surmontent les contrôles, en particulier suite à une mutation génétique conduisant à une activation des oncogènes (gènes susceptibles de provoquer une cancérisation de la cellule) ou la perte des suppresseurs de prolifération.
On dira que les clés qui contrôlent les portes d’entrées ont été retirées et que cela donne lieu à une prolifération cellulaire incontrôlable.
Modifications métaboliques des cellules cancéreuses
1) Glycolyse (transformation du glucose)
Contrairement aux cellules saines la plupart des cellules cancéreuses produisent principalement leur énergie par une glycolyse importante suivie d’une fermentation lactique, même en présence d’oxygène. Ce processus est moins efficace pour produire de l’énergie comparé au processus normal qui n’a besoin que d’un niveau faible de glycolyse suivi de l’oxydation mitochondriale du pyruvate.
Le pyruvate qui est au croisement entre production d’acide lactique et phosphorylation oxydative constitue un intermédiaire clé. Dans les cellules normales le sort du pyruvate dépend de facteurs multiples dont l’un est la présence d’oxygène en quantité suffisante.
- En présence d’oxygène le pyruvate est dirigé dans la mitochondrie pour être converti en Acétyl CoA par le pyruvate déhydrogénase (PDH) ou en alanine par transamination. Dans la mitochondrie le pyruvate est complètement oxydé à travers le cycle de Krebs en contrepartie d’énergie importante et d’équivalents réducteurs allant vers la chaine de transport des électrons.
- Lorsque l’oxygène est limité, comme dans les muscles après un exercice prolongé, le pyruvate n’est pas dirigé vers la mitochondrie mais il est transformé en acide lactique par le lactate déhydrogénase (LDH) selon un processus appelé glycolyse anaérobique.
Les cellules cancéreuses modifient leur métabolisme vers la production d’acide lactique, même en présence d’oxygène. Pour ce faire elles ont besoin de beaucoup de glucose qu’elles obtiennent en stimulant l’expression des transporteurs de glucose (GLUT : qui contrôle l’entrée du glucose dans la cellule) et les enzymes glycolytiques (Hexokinases HK : qui contrôlent la transformation du glucose), la glycolyse est accélérée et produit plus de pyruvate. En même temps la pyruvate déhydrogénase (PDH) est freinée au profit de la lactate déhydrogénase (LDH) qui va induire la production de lactate.
Le choix est déterminé par le pyruvate kinase (PK). Il en existe quatre isoformes : PKL dans le foie et les reins, PKR dans les globules rouges sanguins, PKM1 dans les organes nécessitant beaucoup d’énergie tels le cerveau et les muscles et enfin PKM2 dans les tissus des poumons, graisses, pancréas aussi bien que dans les cellules avec un haut niveau de synthèse d’acide nucléique comme les cellules prolifératives, cellules embryonnaires et spécialement les cellules tumorales.
PKM2 a un constitution particulière qui lui permet d’exister sous deux formes polymérisées : soit un dimère (2 molécules), soit un tétramère (4 molécules). Le ratio dimère /tétramère détermine si les carbones provenant du glucose sont convertis en lactate via le pyruvate (excès de tétramère) ou au contraire conduit vers le cycle de Krebs (excès de dimère qui est la norme pour les cellules normales). Ce rapport dépend de la présence de l’enzyme fructose-1,6-phosphate (FDP). Une concentration élevée de cet enzyme transforme le dimère en tétramère ce qui induit la voie vers l’acide lactique avec génération d’énergie (Ou appelé effet Warburg).
2) Glutaminolyse (transformation de la glutamine)
Les cellules cancéreuses utilisent une autre voie métabolique appelée glutaminolyse pour fabriquer des macromolécules. Dans des conditions normales, la glutamine est transformée en amino-acides dans la plupart des cellules. Cependant pendant des phases de prolifération la demande dépasse l’offre et la glutamine devient essentielle. La glutamine fournit de l’énergie au cours du cycle de Krebs aussi bien que de l’azote, soufre et chaines carbonées pour les cellules prolifératrices.
Les cellules cancéreuses tendent à se constituer un stock important de glutamate, celui-ci provient de la glutamine grâce à l’enzyme glutamine synthase (GLS) très active dans les tumeurs cancéreuses.
Le glutamate sert aussi transporteur d’azote pour la synthèse de l’alanine et de l’aspartate via l’activité de l’enzyme aminotransférase. L’alanine est utilisé pour la synthèse des protéines et secrété fortement par les cellules tumorales. L’aspartate contribue à la synthèse des protéines et des nucléotides en même temps qu’au remplissage de la chaine de transport d’électrons via la navette malate/aspartate. Ces deux processus participent à la croissance des cellules.
La glutamine est aussi impliquée dans la synthèse du glutathion, un des principaux anti-oxydants des cellules. Cependant cette fabrication est bloquée dans les cellules tumorales pour éviter leur destruction.
2) Glycolyse ou glutaminolyse ?
L’utilisation du glucose ou de la glutamine dépend de suppresseurs oncogènes/tumeur particuliers impliqués dans la progression des tumeurs. Tandis que l’oncogène “myc” induit aussi bien la glycolyse aérobique que la glutaminolyse, la “beta-caténine” activée induit la glutaminolyse. Cependant comme la glutamine synthase (GS) n’est pas très exprimée dans tous les tissus, la consommation de la glutamine dépend du profil métabolique des cellules cancéreuses.
La glycolyse aérobique, appelée « l’effet Warburg inverse » induit la production de métabolites à haute énergie comme le L-lactate, des corps cétogènes et de la glutamine. Ces métabolites entrent dans le cycle de Krebs et produisent de l’ATP (adénosine triphosphate). De plus le lactate s’accumule dans l’environnement tumoral. L’environnement acide qui est créé joue un rôle inhibiteur pour l’action des immunosuppresseurs. De plus le lactate est réintégré dans la cellule et réutilisée par celles-ci pour redonner le pyruvate qui entrera dans le cycle de Krebs. D’où une accélération de la propagation.
Fig 1 Les voies métaboliques des cellules cancéreuses:
Glut : protéine régulant l’entrée du glucose dans la cellule. HK : l’enzyme hexokinase démarre la transformation du glucose à l’intérieur de la cellule. PFK : l’enzyme qui transforme le fructos-6-P en fructose-1,6-diphosphate. PKM2 : pyruvate kinase qui dirige le pyruvate soit dans la mitochondrie, soit vers la production de lactate grâce au LDH lactate déhydrogénase. PDK : la pyruvate déshydrogénase kinase empêche la transformation du pyruvate en acétyl CoA dans la mitochondrie contrairement à la pyruvate déhydrogénase PDH. GLS : enzyme glutamine synthase qui transforme la glutamine en glutamate pour participer au cycle de Krebs.
Les cellules souches cancéreuses (CSC)
Pratiquement dans toutes les tumeurs cancéreuses on trouve deux sortes de cellules : les cellules cancéreuses les plus nombreuses qui se multiplient rapidement par divisions cellulaires et les cellules souches cancéreuses, beaucoup moins nombreuses, qui sont moins actives mais qui ont la capacité de développer de nouvelles tumeurs.
Les cellules souches cancéreuses sont définies comme étant capable de s’auto-renouveler et de générer toutes les cellules différenciées qu’on trouve dans les tumeurs. Ces cellules représentent entre 0,15% et 1,2% de la population cellulaire des tumeurs.
Lors des traitements par chimiothérapie ou radiothérapie on a remarqué que si un grand nombre de cellules sont détruites il reste des cellules résistantes à ce traitement. Ce sont des cellules souches cancéreuses qui contiennent des gènes anti-apoptotique (apoptotique=mort) ou des enzymes leur permettant de réparer leur ADN. Au final les cellules souches cancéreuses subsistent après les traitements et sont capable de redémarrer des tumeurs au même endroit ou de métastaser et refaire des tumeurs à d’autres endroits du corps. De plus les nouvelles tumeurs seront résistantes aux traitements initiaux.
Pour éradiquer totalement les cellules cancéreuses et les cellules souches il faut utiliser des thérapies combinées.
Fig 2 Impact des traitements sur la mort des cellules:
(1) Traitement conventionnel de destruction de la tumeur. (2) Redémarrage de croissance de la tumeur. (3) Traitement métabolique visant les cellules souches cancéreuses. (4) Traitement visant les cellules cancéreuses et les cellules souches cancéreuses.
Exemples de traitements :
Le but étant d’éradiquer toutes les cellules il faut donc les priver de ce qui les nourrit et leur permet de se développer.
Par exemple, si on supprime le glucose pour des cellules des tumeurs du cerveau, celles-ci meurent par apoptose induite par résistance au stress oxydatif.
A haute concentration, le 2-deoxyglucose (2-DG) provoque une diminution du niveau d’ATP conduisant à la mort des cellules.
Le dichloracétate (DCA) réduit la croissance des tumeurs sans affecter les tissus sains. Sous certaines conditions, en combinaison avec d’autres produits cela peut conduire à la mort des cellules.
La modification du tétramère PKM2 en dimère, dont nous avons parlé plus haut, peut avoir de graves conséquences pour le métabolisme, la prolifération et les capacités tumorigènes des cellules. Elle peut aussi en affaiblissant la tumeur la rendre plus sensible à d’autres traitements tels les rayons ultra-violets ou l’eau oxygénée.
En conclusion la voie est ouverte à de nouveaux traitements combinés pour supprimer toutes les cellules cancéreuses, y compris les cellules souches, et ainsi éviter un retour de cette maladie. Il suffit de repérer, puis de cibler les voies par lesquelles les cellules se développent et de les bloquer.
Note du rédacteur : Dans son livre “Affamer le Cancer”, Jane McLelland a développé les voies par lesquelles se développent les cancers et proposé un certain nombre de produits visant à bloquer ces voies. Dans des publications à venir je vais essayer d’expliquer quelles sont les différentes possibilités d’empêcher le développement des cellules cancéreuses et des cellules souches cancéreuses en bloquant les voies métaboliques dérégulées.
Patrick Vilars janvier 2020